Entre croissance du trafic et impératifs environnementaux, quelles transformations pour les aéroports ?

Relier les continents et assurer des liaisons intérieures rapides, tels sont les principaux atouts du transport aérien. Dans le contexte actuel du changement climatique et environnemental, ce mode de transport est toutefois critiqué pour ses émissions de gaz à effet de serre (GES), son caractère élitiste et la dimension récréative d’une partie de ses vols : une pression qui l’incite à opérer d’importantes transformations. En tant qu’infrastructure terrestre indispensable au fonctionnement du secteur, les aéroports sont au cœur de cette mutation, dans laquelle certains se sont engagés depuis plusieurs années. Claire Mazelet et Didier Wellenreiter, deux experts aéroportuaires d’Artelia, dressent un panorama des questionnements et réalisations en cours

Quelle est la situation actuelle du secteur aérien et des aéroports ?

Claire Mazelet : « Ce secteur a été bouleversé par le Covid. En 2020, la plupart des vols passagers ont été interrompus et les investissements suspendus. Aujourd’hui, ce trafic est sensiblement revenu à son niveau précrise et les investissements reprennent, mais avec une prise en compte de l’urgence climatique nettement plus marquée. Dans ce contexte, le secteur aérien n’a pas bonne presse. Pour pouvoir continuer à se développer, il doit évoluer. Cela concerne les avions, qui sont la principale source d’émissions de GES, mais également les aéroports qui doivent se montrer vertueux en termes d’environnement. Aujourd’hui, la décarbonation est un sujet central pour tous les acteurs du secteur. »


Didier Wellenreiter : « Cette reprise mondiale du trafic de passagers est particulièrement marquée en Asie et au Moyen-Orient[1] où les catégories aisées, qui aspirent à voyager, gagnent en importance. En Europe, la situation est plus nuancée, car la volonté de réduire l’empreinte carbone du transport incite les autorités et les entreprises à privilégier le train pour les déplacements intérieurs. L’augmentation du fret aérien est un autre sujet très important, porté par la mondialisation des échanges et l’essor massif du commerce en ligne, dit « dématérialisé ».

Le retour du trafic au niveau de 2019 a été plus rapide que prévu et la croissance devrait se poursuivre d’après certaines projections. C’est à la fois une source de satisfaction et de préoccupations pour les opérateurs d’aéroports qui doivent s’adapter en lançant différentes opérations de renouvellement et modernisation d’installations, d’optimisation et d’extension des capacités d’accueil, et d’actions en faveur de la décarbonation de la construction et de l’exploitation. »

[1] Dans un CP de janvier 2024, l’IATA (International Air Transport Association), indique que le niveau total de passagers-kilomètres-payants (mondial) est revenu à 99,6 % du niveau de 2019, avec un dynamisme particulièrement fort des vols intérieurs (boostés par la Chine). L’Asie-Pacifique joue un rôle moteur.

Comment accueillir plus de voyageurs, dans de meilleures conditions, tout en réduisant l’empreinte carbone et environnementale de l’aéroport ?

Claire Mazelet : « Les aéroports sont des infrastructures très complexes qui regroupent des pistes et postes de stationnement pour les avions, des terminaux passagers, des zones logistiques, des installations énergétiques, de nombreuses voiries, souvent des connexions ferroviaires, beaucoup d’espaces verts… Il y a donc une grande variété d’installations, une dimension fonctionnelle et technique très importante, avec un impératif central de sécurité. Améliorer cette fonctionnalité a toujours fait l’objet d’investissements et nous intervenons depuis des années dans ces différents domaines techniques aux côtés des aéroports, dès la phase de planification des projets et jusqu’au pilotage des travaux. Nous accompagnons par exemple de longue date l’aéroport de Copenhague et avons participé à ses transformations successives (extension de terminaux, modernisation d’installations, drainage des pistes…).

Aujourd’hui, avec la reprise du trafic et l’urgence climatique, l’amélioration de cette fonctionnalité s’inscrit dans une ambition de durabilité qui nous oblige à repenser nos manières de concevoir et de réaliser ces aménagements. Beaucoup d’opérateurs d’aéroports adoptent une démarche environnementale très volontaire dans une optique de neutralité carbone à l’horizon 2030-2050, en s’aidant notamment de la certification ACA (Airport Carbon Accreditation). C’est le cas d’ADP (Paris Aéroport) qui a élaboré un programme très ambitieux pour ses plateformes Charles de Gaulle et Orly (nouvelles sources d’énergie, optimisation du roulage des avions, connexion multimodale…). Nous l’avons accompagné lors de la certification HQE (haute qualité environnementale) de Paris-Orly et nous aidons d’autres plateformes dans ces processus de bilan carbone, de règlementation et de labélisation environnementale. »

Quels sont les principaux leviers mis en œuvre pour améliorer le bilan carbone d’un aéroport ?

Didier Wellenreiter : « Il y a bien sûr l’optimisation des consommations énergétiques pour laquelle nous proposons à la fois des études globales et des interventions ciblées. Pour l’aéroport de Marseille, nous améliorons par exemple le pilotage de l’éclairage des postes de stationnement, afin de le réduire au minimum lorsqu’ils ne sont pas utilisés. Nous remplaçons aussi le balisage lumineux par des appareils LED de nouvelle génération, moins gourmands en énergie. Nous accompagnons aussi d’autres plateformes dans la mise en œuvre de sources d’énergie décarbonées et dans l’électrification de leurs équipements. Nous étudions ainsi la création d’une centrale photovoltaïque pour l’aéroport de Nice et l’installation de 140 points de distribution d’énergie électrique sur la plateforme Bâle-Mulhouse afin d’alimenter des bus et divers apparaux. Certains de mes collègues de la branche Industrie d’Artelia interviennent aussi sur les biocarburants, les électrocarburants et l’hydrogène, qui sont envisagés comme des « carburants d’aviation durable (CAD) », capables de contribuer à la décarbonation des vols. »


Claire Mazelet : « Un autre levier important consiste à agir sur les déplacements depuis et vers l’aéroport. De plus en plus souvent, l’aéroport se définit comme un hub de mobilité multimodale qui s’efforce d’améliorer sa connexion aux autres infrastructures de transport (lignes ferroviaires, tramways, métros…). L’objectif est de limiter l’usage de la voiture et de réduire ainsi les émissions indirectes. Nous avons par exemple piloté la réalisation d’une ligne de tramway à Bordeaux qui relie la ville à son aéroport. Nous accompagnons le groupe ADP pour les études préliminaires en vue de la réalisation d’un Système de transport Automatisé en zones publiques et réservées entre les différents terminaux de Paris-Charles de Gaulle (Paris-CDG). »

Au-delà de la dimension énergétique, quelles autres actions sont engagées en faveur de la réduction des impacts environnementaux ?

Didier Wellenreiter : « Les maîtres d’ouvrage veulent avoir une vision globale et disposer d’un choix de scénarios qui intègre les différents impacts environnementaux. Nous raisonnons donc de plus en plus en « cycle de vie » et en « coût global ». Nous prenons en compte les investissements initiaux, les coûts et impacts d’exploitation et ceux de la déconstruction-réutilisation. Artelia a d’ailleurs développé une démarche d’écoconception pour aller plus loin dans les études de conception, optimiser les surfaces et les matériaux à mettre en œuvre pour minimiser les impacts.

Dans le cas des aéroports, nous étudions différentes solutions, en nous appuyant sur l’expérience que nous avons acquise dans d’autres secteurs d’activité. Il s’agit par exemple de désimperméabiliser certains espaces, d’améliorer la gestion des eaux pluviales sur la plateforme, d’optimiser l’utilisation des matériaux et de réemployer certains d’entre eux issus de la déconstruction… La particularité des infrastructures aériennes est qu’il faut toujours respecter des objectifs de sécurité et de performance élevés. L’aéroport de Marseille étudie par exemple la désimperméabilisation des accotements sur lesquels il n’y a pas de cheminement d’avion, mais il faut dans le même temps s’assurer qu’il n’y aura pas de risque de projection de matière dans les moteurs des avions.

L’entretien des espaces verts est aussi beaucoup plus réfléchi, tant au niveau de la recherche de désherbants naturels, que pour la préservation d’espèces protégées. À Marseille, nous rencontrons ainsi des outardes (oiseau), à Ajaccio une espèce endémique d’escargots, dans la vallée de Solenzara, d’immenses tapis d’orchidées… »

Claire Mazelet : « Progresser en matière d’environnement et d’empreinte carbone revient en réalité à reconsidérer une multitude d’aspects. Il faut impérativement garder l’esprit ouvert. Nous participons par exemple à une étude innovante qui vise à évaluer les conditions d’utilisation pour les avions d’un seul moteur lors de leurs déplacements sur le tarmac… un autre levier pour limiter les impacts. La question de la réduction du bruit et des nuisances sonores pour les riverains est également un enjeu important qui relève de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. »

Et qu’en est-il des risques que le changement climatique fait peser sur le maintien opérationnel des aéroports ?

Claire Mazelet : « La résilience des territoires et des infrastructures au changement climatique, notamment aux inondations et submersions, est un domaine de prédilection d’Artelia. Nous mettons ce savoir-faire au service des aéroports qui sont souvent implantés en zone littorale. Nous avons ainsi participé à la création d’une nouvelle digue de protection des pistes pour l’aéroport de Hong Kong. Nous étudions actuellement le renforcement du seuil de piste de l’aéroport d’Ajaccio, affecté par le recul du trait côte. Plus largement des réflexions concernant la résilience globale des aéroports commencent à être initiées. Au Togo, l’aéroport international Gnassingbé Eyadema a ainsi demandé une étude de vulnérabilité et de résilience dans le cadre d’un projet d’extension-réhabilitation. C’est encore rare, mais ce type de demande va certainement augmenter avec l’accroissement de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes. »