Adapter les zones littorales à l’élévation du niveau de la mer
Elaboration de stratégies et mise en œuvre des solutions
Au rythme moyen de 4 à 5 mm par an, le niveau de la mer s’élève. Ce phénomène est dû à la dilatation de l’océan et à la fonte des glaciers, l’une des conséquences du réchauffement climatique. Les scientifiques estiment qu’à la fin du siècle ce niveau aura augmenté d’au moins 40 cm, mais qu’il pourrait atteindre plus d’un mètre en cas d’accélération de certains processus. Cette mutation est engagée et elle se poursuivra, avec une certaine inertie, même si l’humanité parvient à maîtriser ses émissions de gaz à effet de serre, principales causes du dérèglement climatique actuel.
Pour tous les acteurs du littoral (États, collectivités locales et régionales, ports, industriels, agriculteurs, habitants…), la question de l’adaptation à cette élévation se pose désormais très concrètement, car elle risque d’entraîner des dégâts humains et matériels considérables. Réduire ces impacts exige d’élaborer de nouvelles stratégies, appuyées sur des diagnostics actualisés, et de mettre en œuvre des programmes d’aménagement sur mesure. Robin Sigwald, directeur de projets de l’équipe Résilience côtière d’Artelia, nous fait partager son expérience en ce domaine.
Quels sont les impacts attendus, pour les territoires littoraux et leurs habitants ?
L’élévation du niveau de la mer a de nombreuses conséquences. Elle provoque une augmentation des phénomènes d’érosion et une aggravation des submersions et des inondations. Elle exacerbe certains risques climatiques (tempêtes, ouragans) et affecte les bassins versants des fleuves, en modifiant les conditions de leur débouché en mer. Le recul du trait de côte peut aussi entraîner la submersion permanente de terres naturellement basses et la salinisation des sols et des réserves d’eau douce.
Comme environ 1,4 milliard de personnes dans le monde sont installées dans les zones littorales, cette élévation menace des habitations, des installations agricoles, des sites touristiques et des infrastructures portuaires, logistiques et industrielles cruciales. De récentes évaluations (UN Habitat, World Cites report, 2024), portant sur 136 des plus grandes villes côtières, font état de pertes annuelles qui pourraient dépasser 1 000 milliards de dollars d’ici à 2050, si aucune stratégie d’adaptation n’est mise en œuvre.
Même si des incertitudes subsistent sur le niveau atteint dans 30, 50 ou 80 ans (de 40 cm à 3 ou 4 m dans les pires scénarios), le processus est engagé, constaté et mesuré. Une élévation de 40 cm suffit à transformer une tempête « classique », c’est-à-dire que nous avons l’habitude de gérer, en un évènement catastrophique. Aujourd’hui, un consensus s’est établi autour d’une élévation du niveau de la mer d’au moins 1 m entre 2080 et 2150 ce qui a fait prendre conscience aux acteurs et habitants des littoraux qu’il ne sera plus possible de faire « comme avant ».
Comment s’élaborent ces stratégies d’adaptation et à quelle échelle ?
L’une de nos forces et d’intervenir à toutes les échelles spatiales. Nous accompagnons des États, des régions et des collectivités locales dans le cadre de stratégies de gestion intégrée du littoral, mais nos diagnostics portent aussi sur des infrastructures portuaires, des entreprises et des habitations.
Nous commençons par réaliser un état des lieux en utilisant les données existantes sur la zone concernée et différents travaux scientifiques sur l’évolution du climat, dont ceux du Giec. Nous évaluons ensuite les transformations possibles du trait de côte afin d’établir des projections et de pointer les vulnérabilités en fonction de différents scénarios climatique. Cet état des lieux comprend une analyse fine des aménagements et des ouvrages existants, car une grande partie d’entre eux, conçus il y a plusieurs décennies pour un niveau de mer relativement stable, ne sont plus adaptés aux évolutions actuelles et à venir.
Réaliser ce type de diagnostic est un travail complexe et passionnant qui exige une importante maîtrise technique sur un large spectre de disciplines. Nous mobilisons sur ces projets à la fois nos experts du climat, de l’environnement littoral, du génie côtier et maritime, et nos spécialistes des territoires, villes et bâtiments, car il est indispensable de prendre en compte dans la réflexion les voiries et les systèmes de transport, les réseaux d’assainissement, les installations énergétiques… Nous intégrons également des architectes, urbanistes et paysagistes, car c’est souvent tout un front de mer qu’il faut repenser. Nos équipes pluridisciplinaires mènent en complément de nombreuses actions de R&D internes et participent à l’encadrement de travaux de thèses, actuellement sur l’utilisation des solutions fondées sur la nature et sur la planification de la recomposition territoriale.
Quelles collectivités avez-vous accompagnées récemment ?
En France, nous intervenons auprès de très nombreuses communes et collectivités territoriales, car la loi Climat et Résilience les incite à étudier l’évolution du trait de côte et à mettre en œuvre des stratégies d’adaptation. Nous accompagnons ainsi le Syndicat mixte du littoral Seine-Maritime dont le territoire comprend près de 140 km de côtes et environ 270 000 habitants. La démarche stratégique se décline dans ce cas jusqu’à l’échelle communale et englobe un large éventail de préoccupations. C’est un territoire où les ports locaux (Tréport, Fécamp, Dieppe… le port du Havre étant traité dans le cadre de démarches complémentaires) jouent un rôle économique important, mais qui possède aussi des espaces naturels très appréciés que les autorités veulent préserver.
En Côte d’Ivoire, dans le cadre d’une étude pour la Banque Mondiale, nous contribuons au développement de la planification de l’espace côtier et maritime de la municipalité d’Assinie. Il s’agit d’une région fortement impactée par les phénomènes d’érosion littorale et l’élévation du niveau de la mer. La stratégie d’adaptation élaborée s’appuie fortement sur des solutions fondées sur la nature.
Nous intervenons également au Danemark, un pays qui s’est consacré à la résilience aux inondations pluviales ces dernières années, mais dans lequel les questions de submersion se posent avec plus d’acuité. L’élévation du niveau de la mer sur ces cotes basses soumises à de faibles marées peut également avoir un impact important sur la gestion des eaux pluviales. À Copenhague par exemple, il est prévu que les dégâts provoqués par la mer puissent dépasser ceux causés par les inondations terrestres extrêmes dès 2050.
Très souvent, la concertation et la co-construction avec les acteurs locaux sont au cœur de notre démarche d’aide à l’élaboration de stratégies d’adaptation. Pour les projets de Seine-Maritime et d’Assinie, la réflexion a mobilisé des élus, des techniciens territoriaux, des habitants, des acteurs économiques… Ces échanges entre acteurs qui ont des niveaux de connaissance, des points de vue et des intérêts différents aident à aboutir à un projet consensuel et facilite nettement l’acceptation de certains choix.
Quelles solutions sont préconisées dans le cadre de ces stratégies d’adaptation ?
Le maître mot est d’avoir une approche proportionnée afin de dimensionner les réponses à la réelle vulnérabilité d’un territoire ou d’un site. Notre évaluation des risques alimente des analyses coûts-bénéfices. Par coût, il faut étendre le montant des investissements nécessaires à la mise en œuvre d’une solution, et par bénéfice, une évaluation des dommages ainsi évités.
Quant au panel de solutions proposées, c’est un mélange subtil qui varie en fonction du territoire et de la temporalité envisagée. Au niveau des grands centres urbains, ce sont souvent des ouvrages en dur qui s’imposent (digues de protection…), car les autres options ne sont pas forcément accessibles à court terme. Ces protections s’accompagnent de démarches de planification urbaine pour réduire la vulnérabilité du territoire et lui donner des marges d’adaptation futures. Dans des territoires ruraux ou des espaces plus naturels, avec un habitat plus diffus, nous privilégions des solutions plus douces, que l’on appelle aujourd’hui « les solutions fondées sur la nature ». Ces solutions consistent à s’appuyer sur les écosystèmes, la protection apportée par les cordons dunaires, les capacités d’absorption des marais littoraux… Le principe est de favoriser ces fonctionnalités, en leur redonnant de l’espace au besoin. Ces solutions s’inscrivent dans le cadre de projets de territoire qui intègre aussi une évolution des pratiques agricoles, des usages, des modes d’habitat.
Ces différentes solutions peuvent se décliner dans le temps. Une digue peut être rehaussée pour protéger pendant 20 ou 30 ans des bâtiments et des infrastructures, suffisamment longtemps pour qu’ils s’amortissent et que l’on puisse plus facilement envisager ensuite leur démantèlement ou leur éventuel déplacement une fois les enjeux à l’arrière également recomposés ou adaptés.
Avez-vous des exemples de réalisation, en cours ou en service ?
En France, nous avons contribué à la restauration du cordon dunaire des Vieux Salins à Hyères. Il s’agit d’un cas très représentatif de mise en œuvre de solutions fondées sur la nature pour contrer l’érosion littorale. L’étude menée en 2017 a montré la pertinence du scénario de renaturation du trait de côte avec rééquilibrage naturel. Cette stratégie comprenait le retrait d’un enrochement artificiel qui perturbait les transferts sédimentaires à l’échelle du site. Aujourd’hui, après la réalisation des travaux (2018-2021), la dynamique sédimentaire naturelle est rétablie et la morphologie du site évolue dans le sens que nous souhaitions.
Nous avons terminé un autre aménagement de protection à la frontière entre le Togo et le Bénin dans le golfe de Guinée, une région du monde également très impactée par l’érosion côtière. Artelia avait participé à l’établissement d’une stratégie durable, concertée entre les deux pays, dans le cadre du programme WACA initié par la Banque mondiale. Les études réalisées, qui comprenaient une modélisation des transports sédimentaire sur près de 80 km de littoral répartis entre les deux pays, avaient montré l’interdépendance de ces zones côtières et permis d’identifier les meilleures solutions de protection. Au Togo, elles se sont matérialisées par la construction et la réhabilitation d’épis courts, complétées par un rechargement en sable entre les épis pour réduire l’interception du transport littoral, et au Bénin, par la création de quelques épis courts en amont d’un rechargement massif en sable sur une longueur de 4 km et une largeur d’environ 200 m (6,4 Mm3 au total). Cela devrait bénéficier à près de 200 000 personnes vivant sur ce littoral.
Dans un autre registre, nous avons accompagné le grand port maritime de la Réunion dans l’élaboration de sa stratégie d’adaptation au changement climatique (2020-2022). Nous entrons actuellement dans une phase de mise en œuvre de solutions qui nécessite de concilier les objectifs de protection (rehaussement ou reconstruction de digues) et d’expansion des capacités du port dans un environnement très contraint.
Publié le 6 juin 2025