Réduire les îlots de chaleur urbains pour rafraîchir la ville
En raison des choix d’aménagement adoptés jusqu’ici, la ville a tendance à facilement absorber et emmagasiner la chaleur solaire, qu’elle restitue partiellement durant la nuit. Cette surchauffe est accentuée par une densité élevée de population et d’activités qui fait également grimper la température.
Durant les phases estivales, des écarts de 5 à plus de 10°C ont ainsi pu être observés la nuit entre les centres-villes et leurs campagnes. Identifié depuis longtemps, ce phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU) devient de plus en plus préoccupant avec le changement climatique qui provoque une hausse des températures moyennes et surtout une aggravation de la durée et de l’intensité des épisodes caniculaires.
Anthony Danneyrolle et Antoine Feldmann, qui travaillent sur le sujet depuis une douzaine d’années, nous présentent la méthodologie et le panel de solutions qu’Artelia propose pour rafraîchir la ville.
Pouvez-vous nous rappeler brièvement ce qu’est un îlot de chaleur urbain (ICU) ?
Anthony Danneyrolle :
C’est un phénomène de surchauffe directement lié à la manière dont la ville est agencée et construite. Il impacte la santé des habitants, mais aussi le fonctionnement des infrastructures urbaines. Selon les matériaux utilisés et de l’intensité des usages, la ville absorbe et stocke la chaleur, pour la restituer, en partie, pendant la nuit. En période caniculaire, cela peut créer des nuits « tropicales », au-dessus de 25 ou 26°C, et une inertie thermique qui s’aggrave de jour en jour. Le phénomène est exacerbé par le dérèglement climatique qui appuie sur cette mauvaise propension de la ville à gérer la chaleur.
Quels sont les principaux facteurs alimentant ce phénomène ?
Anthony Danneyrolle :
Les principaux facteurs sont l’artificialisation et l’imperméabilisation des sols et l’utilisation de matériaux de construction qui absorbent le rayonnement solaire plutôt que de le réfléchir (albédo faible/élevé). Les formes urbaines participent également au phénomène, notamment lorsqu’elles empêchent la circulation aéraulique. Les activités humaines, très concentrées en milieu urbain, génèrent aussi de la chaleur. Citons, par exemple, l’utilisation des moteurs thermiques pour nos déplacements, la floraison de climatiseurs, qui ajoutent de la chaleur à la chaleur, ou encore la présence de certains ICU méconnus, comme les chantiers.
Antoine Feldmann :
Il faut vraiment insister sur l’importance de la relation au sol, car lorsque l’on évoque les différences entre un centre urbain fortement artificialisé ou imperméabilisé et des espaces de parcs et de cours d’eau végétalisés, c’est bien d’occupation des sols dont il est question. Le vent est aussi un facteur clé, un grand oublié, qu’il ne faut surtout pas négliger. Pour nous, la notion d’intensité d’usages est également essentielle. Se questionner sur les îlots de chaleurs urbains demande un regard global nécessitant un panel de compétences que nous développons au sein d’Artelia, de l’urbaniste à l’hydraulicien, du cartographe à l’ingénieur environnement, de l’ingénieur VRD et au paysagiste.
Où en sont les connaissances sur le sujet ? Est-il possible de hiérarchiser ces différents facteurs ?
Anthony Danneyrolle :
Si le phénomène est connu depuis longtemps, nous manquons encore de profondeur historique, de campagnes de mesures, pour pouvoir dire tel niveau de trafic routier génère tant de chaleur ou la désimperméabilisation d’un hectare de parking est capable de produire tel rafraîchissement dans et autour de lui. C’est complexe et nous collaborons avec le milieu scientifique, en participant à des groupes de travail et des études, pour faire progresser les connaissances. Nous disposons toutefois de bases solides sur différents sujets, comme les microclimats dans certains territoires, la vulnérabilité humaine à la chaleur, le fonctionnement thermique des bâtiments, l’albédo des matériaux… et de nombreuses études sont en cours pour enrichir ces savoirs.
Antoine Feldmann :
Nous poursuivons au sein d’Artelia une démarche innovante et expérimentale en matière de modélisation bioclimatique. Ce sont des outils très importants pour bien appréhender et cartographier ces phénomènes d’îlots de chaleur urbaine qui varient sensiblement selon les lieux. C’est l’une des valeurs ajoutées d’Artelia d’utiliser ces outils de modélisation et de simulation pour alimenter l’expertise bioclimatique urbaine que nous proposons aux clients.
Vous évoquiez la notion d’intensité d’usage, de quoi s’agit-il ?
Antoine Feldmann :
La surchauffe urbaine existe, mais elle ne devient problématique que lorsqu’elle croise la question des usages et de la santé humaine. Nous ne traitons pas de la même manière la surchauffe qui peut exister sur un site industriel ou dans une cour d’école, à l’entrée d’une résidence séniors ou au sein d’un quartier piéton de centre-ville. C’est ce regard sur l’intensité d’usages qui nous amène à construire des réponses et des préconisations spécifiques.
Sur quels leviers et méthodes vous appuyez-vous pour élaborer des solutions de rafraîchissement de la ville ?
Anthony Danneyrolle :
Nous nous appuyons sur nos capacités de modélisation et la pluridisciplinarité du Groupe pour proposer une approche d’ensemble. Il s’agit de sujets vraiment pluridisciplinaires. Nous mobilisons donc des compétences en climatologie, sol, paysage, réseaux urbains, structures, matériaux… pour aider les architectes et concepteurs ou les maîtres d’ouvrages dans le choix de stratégies et de solutions pertinentes.
Pour nous, les leviers d’actions se répartissent en trois grandes familles. Les leviers « biologiques » qui comprennent les solutions fondées sur la nature : la végétation, l’eau, la pleine terre. Les leviers « physiques » qui renvoient aux questions de matériaux et d’inertie thermique, aux formes urbaines et la circulation du vent. Puis, les leviers liés aux usages : les activités humaines, la mobilité et les transports, les vulnérabilités et la santé publique.
Antoine Feldmann :
Dans notre démarche méthodologique, nous nous inspirons beaucoup de l’expérience que nous avons acquise en milieu insulaire et tropical où la prise en compte de la configuration locale et des microclimats est très importante. Il s’agit d’appréhender chaque site comme un réservoir de ressources, en s’appuyant sur les possibilités offertes par le relief, la présence d’eau, les vents. Ces trois éléments constituent la « chaîne de ventilation ». Elle part de la fenêtre du salon et se poursuit à différentes échelles, de l’habitation à la rue, du quartier au site avec son relief spécifique, ses rivières, ses particularités climatiques. De plus, en raison des coûts élevés liés à l’import de matériaux, les milieux insulaires incitent fortement à pratiquer l’économie circulaire, ce qui a aussi inspiré notre démarche. D’une manière générale, nous privilégions plutôt des approches low tech. C’est-à-dire des solutions économes en ressources, à faible empreinte carbone, robustes, reproductibles et à coût de maintenance maîtrisé.
Dans quels types de projets avez-vous déployé votre démarche concernant les ICU ?
Anthony Danneyrolle :
Un nombre croissant d’aménagements urbains intègre cette préoccupation, même si les moyens d’étude et d’action sont parfois limités. Nous intervenons ainsi sur de multiples projets de stratégie bioclimatique de quartiers, de déminéralisation de parkings et de cours d’école, de création d’îlots de fraicheur…
Parmi les opérations récentes en France, je retiendrais l’étude que nous avons réalisée pour le nouveau quartier Grand Arenas à Nice. Responsables de la stratégie et de la modélisation bioclimatique, nous avons pu mettre à profit la géographie de la vallée du Var, qui génère, de nuit et au petit matin, un vent rafraichissant descendant du relief vers la mer. Cette solution a été intégrée dans le plan de masse du projet et servira à la ventilation naturelle des bâtiments.
Nous avons également accompagné la Métropole de Nantes dans sa réflexion pour rafraîchir les espaces publics de son hypercentre. Mission qui a permis de croiser concrètement les enjeux climatiques, patrimoniaux, d’intensité d’usages et de gestion de lieux très impactés par la chaleur, mais difficile à transformer.
Nous travaillons également à l’intégration de l’expertise bioclimatique dans la désimperméabilisation des villes, notamment des cours d’école, comme à Bayeux actuellement où il s’agit de déminéraliser un groupe scolaire et le parking attenant. Cela conduit à repenser la relation à la pleine terre, à recréer des jeux d’enfant, à réimplanter des arbres et de la végétation, en intégrant le vent et les ombres portées, mais aussi en tenant compte de la forte intensité d’usage des lieux à certains moments de la journée.
Antoine Feldmann :
Nous avons réalisé un autre projet intéressant à Saint-Denis de la Réunion, dans le secteur Prunel, un quartier de logements sociaux en rénovation urbaine avec un taux de pauvreté élevé. Nous avons effectué des diagnostics et une cartographie, en nous inspirant de la démarche « 3.30.300 », issue des recherches en santé globale. Elle consiste à dire que pour mieux vivre en ville l’idéal est d’avoir un visuel sur 3 arbres, être dans un quartier à 30 % arboré et se situer à moins de 300 m d’un espace vert. Ces recherches, alliant paysage et écologie urbaine, nous permettent de concevoir un urbanisme favorable à la santé. Elles ont orienté l’étude de rénovation urbaine du secteur Prunel et orienté l’ensemble des aménagements et solutions que nous avons conçus : désimperméabilisation, gestion des eaux pluviales, mise en sens unique de certaines rues pour gagner des espaces végétalisés, apport d’ombre, réaménagement des parvis et cours d’école, création de pistes cyclables ombragées. Nous sommes fiers d’avoir pu apporter des solutions cohérentes et adaptées dans ce site contraint de cœur de ville, caractérisé par une grande densité de population et un enjeu social fort. Le tout a été réalisé à un coût relativement bas, car nous avons pratiqué l’économie circulaire (réutilisation d’enrobés et de bétons issus du démantèlement de bâtiments). C’est une belle réponse d’économie circulaire et de lutte contre la surchauffe urbaine dans un quartier défavorisé.
Nous poursuivons actuellement notre intervention, dans la même ville, avec le réaménagement d’une bande littorale de 6 km de longueur sur 100 m de largeur. Il s’agit de créer un parc linéaire de fraicheur et d’agrément sur un délaissé urbain qui borde une route nationale, en jouant sur la proximité de l’océan, la végétation, la désimperméabilisation de pistes cyclables, la création d’aires de jeux et de repos…
De Saint-Denis de La Réunion à Nantes, notre expérience nous montre qu’il faut donner de l’ampleur à ce type d’aménagement pour espérer un rafraîchissement sensible de la ville.
Rédigé par Eric Robert, publié le 23 septembre 2024.